Saviez-vous qu’on cultivait, à la fin du 19e siècle, un melon fabuleux à Montréal? Il a porté plusieurs surnoms, mais on le connaît aujourd’hui tout simplement comme le melon de Montréal. On retrouve plusieurs textes à son sujet, mais la majorité d’entre eux se contentent de répéter des informations sans les confirmer. J’ai donc décidé de creuser le sujet afin de vous offrir l’histoire entière, et surtout validée, de ce melon ancestral qui fait partie du patrimoine alimentaire du Québec.
Quand le melon de Montréal a-t-il été créé?
La plus vieille mention du melon de Montréal que j’ai réussi à trouver, et qui est d’ailleurs la plus ancienne jamais répertoriée à ma connaissance, date de 1875. Elle se trouve dans un catalogue de semences de la compagnie montréalaise Ewing Brothers, sous le nom de Montreal Nutmeg.
Selon mes recherches, tout porte à croire que la variété a commencé à être officiellement reconnue autour des années 1870.
Semences de "Montreal Nutmeg", un des noms du melon de Montréal dans le catalogue de Ewing Brothers, 1875.
Qui a inventé le melon de Montréal?
Plusieurs rumeurs circulent à propos des créateurs de la variété.
Certains affirment que les Jésuites cultivaient ce melon dès les débuts de la colonie. C’est vrai qu’ils cultivaient des melons à Montréal au moins dès 1694, mais je n’ai trouvé aucune trace qui parlait du melon de Montréal à cette époque.
D’autres disent que c’est la famille Décarie, une des plus anciennes familles du Québec, qui aurait ramené des semences de France. Cependant, selon les sources, ces histoires sautent d’un siècle à l’autre et se contredisent complètement.
À moins d’informations qui m’ont échappées, je ne crois pas qu’on puisse déterminer avec exactitude qui est la première personne à avoir cultivé le melon de Montréal.
Cargaison de melons de Montréal par Anatole Décarie, un des derniers producteurs. Archives de la ville de Montréal, 1910.
À quoi ressemble le melon de Montréal?
Le melon de Montréal appartient à l’espèce Cucumis melo, comme le cantaloup et le melon miel. Selon les descriptions datant de son époque glorieuse, soit à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, il s’agit d’un melon brodé a la chair verte, sucrée, juteuse et parfumée. Il pouvait peser jusqu’à 40 livres, mais la majorité des fruits approchaient plutôt les 8 à 15 livres, ce qui reste assez imposant pour un melon. En plus de son poids impressionnant, la forme du melon est assez unique, puisque le fruit ressemble un peu à une citrouille aplatie et il possède de nombreuses côtes bien définies.
Panier de melons de Montréal. Rapport de la Vermont Agricultural Experiment Station, 1912
Que goûte le melon de Montréal?
Au-delà de mots tels que « succulent », « délicieux », « parfumé » et « délicat », il n’existe pas vraiment de vieilles descriptions détaillées du goût de ce melon.
Certaines rumeurs avancent qu’il possède un goût de muscade. Selon mes recherches, il s’agit très probablement d’une erreur. Il faut savoir que ce melon était aussi connu comme le Montreal Green Nutmeg. Le mot « nutmeg » veut dire « muscade » en français. C’est un terme que les agriculteurs utilisaient à l’époque pour décrire des melons qui avaient une forme similaire à la noix de muscade. Ça n’a aucun rapport avec son goût. D’après mes recherches, aucun texte datant de la fin du 19e siècle ou du début du 20e siècle ne décrit le melon comme ayant un goût de muscade. Cette « information » est apparue dans un article en 2000, en faisant un lien avec le nom « nutmeg », puis elle a été répétée par tous, contribuant à la fausse rumeur.
J’ai eu la chance de goûter au melon de Montréal. Quand on tombe sur un bon melon, il est vraiment très bon, juteux et sucré. Sa chair est fondante et très parfumée. Je n’ai pas les mots exacts pour le décrire, mais je peux vous garantir que je n’ai jamais goûté à un melon avec ce profil de saveurs.
Je peux donc totalement comprendre l’engouement que ce fruit a généré à son époque!
Article sur les melons de Montréal dans The Montreal Weekly Witness, 1908.
Quand le melon de Montréal est-il devenu populaire?
Selon les écrits, le melon de Montréal était déjà réputé dans les années 1870. Mais c’est en 1881 que sa popularité a complètement explosé. Cette année-là, l’entreprise de semences américaine Burpee a ajouté la variété à son catalogue en vantant ses mérites. À partir de ce moment, de nombreuses compagnies de semences américaines se sont aussi mises à vendre ce melon. Certaines allaient même jusqu’à visiter les marchés publics de Montréal pour acheter des melons, récupérer les semences, puis les rapporter aux États-Unis pour démarrer leur production.
Catalogue de semences Burpee's Farm Annual, 1882.
Jusqu’à la fin des années 1910 environ, le melon de Montréal a connu sa période de gloire. Les meilleurs restaurants et hôtels de New York, de Boston et de Philadelphie s’arrachaient la production des agriculteurs montréalais pour servir des tranches de ce fruit délicieux à leur clientèle. La demande était si forte qu’on n’arrivait pas à fournir tout le monde, ce qui a fait grimper le prix du melon. Il était considéré comme un produit luxueux qu’on retrouvait seulement sur les meilleures tables.
Ici, des compagnies ont fait fortune en le commercialisant et en assurant son transport à travers le Canada et aux États-Unis.
Qui produisait le melon de Montréal?
Plusieurs familles et producteurs ont participé à la culture à grande échelle du melon de Montréal. Dans mes recherches, je suis tombé sur les lignées Aubin, Benoit, Brodie, Des Rosiers, Hall, Latour, Legal, Power, Prudhomme, Roy et Viau. Mais sans contredit, les deux familles qui ont le plus contribué à sa production sont les Décarie, à Notre-Dame-de-Grâce, et les Gorman à Outremont.
Différence entre les melons de Montréal Décarie et Gorman. The MacDonald College Magazine, 1911.
Comment cultivait-on le melon de Montréal?
Les producteurs le cultivaient en couches chaudes. Il s’agit d’une méthode d’agriculture ancienne où on construit des genres de petites serres dans les champs, qu’on remplit de fumier (dans ce cas-ci, c'était du fumier de cheval) recouvert par une couche de terre. La chaleur du fumier qui provient du dessous, puis celle des rayons solaires qui proviennent d’en haut permettent de créer un climat chaud à l’intérieur de la serre. Les agriculteurs pouvaient ainsi planter le melon en champ dès le mois de mars. On conservait ces constructions temporaires environ jusqu’en juin, quand la température était plus clémente et que les plants de melons commençaient à devenir trop gros pour la structure.
Culture des melons de Montréal en couches chaudes. The Journal of Agriculture and Horticulture, 1912
Ensuite, c’était le temps de chouchouter les melons. Tout au long de l’été, on s’assurait de bien les arroser et on taillait les plants pour conserver seulement les melons les plus prometteurs. On tournait aussi chaque melon à la main, à tous les deux ou trois jours, pour s’assurer que tous les côtés reçoivent des rayons solaires. On plaçait également les fruits sur des pierres plates qui permettaient de conserver la chaleur pendant la nuit et d’éviter le contact avec le sol.
Pour tenter l'expérience vous-même, je vous invite à consulter mon article sur la culture du melon de Montréal.
Culture de melons de Montréal. Rapport de la Vermont Agricultural Experiment Station, 1912
Pourquoi le melon de Montréal a-t-il disparu?
Toute bonne chose a une fin. Après quelques décennies sous les projecteurs, le melon de Montréal a fini par disparaître. Plusieurs facteurs ont contribué à son départ.
D’abord, les producteurs comme les Décarie et les Gorman ont abandonné la culture et ont vendu leurs terres sur lesquelles on a construit des habitations et des routes. D’ailleurs, l’autoroute Décarie à Montréal se situe exactement là où poussaient les melons, d’où son nom.
Ensuite, d’autres variétés ont pris sa place, simplement parce qu’elles étaient nouvelles, parce qu’elles se transportaient mieux ou parce que les melons étaient plus petits. Par exemple, le melon d’Oka, qui est aussi une variété ancestrale du Québec, est devenu très populaire lors de sa création au début des années 1910 et il a rapidement pris la place du melon de Montréal sur les tables luxueuses.
Melons de Montréal dans un champ. Rapport de la Vermont Agricultural Experiment Station, 1912
Ainsi, dans les années 1920, sa culture à grande échelle a à peu près été délaissée complètement. Certains ont continué à le cultiver pour le plaisir pendant quelques décennies, mais il est devenu de plus en plus rare. Selon mes recherches, les derniers semenciers à avoir vendu des semences de melon de Montréal était l’entreprise montréalaise Dupuy & Ferguson, jusqu’en 1964, année de leur fermeture.
Puis, le melon est tombé dans l’oubli pendant des décennies…
Comment le melon de Montréal a-t-il été redécouvert?
En 1991, le journaliste Barry Lazar, qui travaille pour The Gazette à Montréal est tombé sur cette histoire fascinante et a décidé d’investiguer. Il a publié un article pour raconter la légende du melon et il expliquait qu’il n’existait plus aucune trace de ce dernier.
Mark Abley, qui écrivait aussi pour ce journal, s'est alors penché sur la question et s'est mis en quête de semences de melon. En 1996, il a réussi à localiser un sachet de semences prometteur dans une banque de semences à Ames en Iowa.
D’après mes recherches, ce vieux sachet de semences a été produit à partir de semences envoyées par la compagnie lavalloise W. H. Perron en 1961, année où elle a retiré le melon de Montréal de son offre.
Cette réserve de graines lui a envoyé une certaine quantité, qu’il a partagé à Ken Taylor, un agriculteur montréalais. Ce dernier les a cultivées et a réussi à produire un melon qui correspondait en tous points aux caractéristiques décrites dans les textes historiques.
L’année suivante, en 1997, Mark Abley annonçait le retour du melon de Montréal dans The Gazette.
Melon de Montréal cultivé à l'Île Bizard par Lyne Bellemare, en 2016. Photo : Katya Konioukhova
A-t-on vraiment retrouvé le melon de Montréal?
Depuis cette époque, certains émettent des doutes quant à l’identité réelle du melon. En effet, les melons cultivés à partir des semences retrouvées ne sont pas aussi gros que dans les photos d’époque. Une grande partie des melons sont également peu savoureux, alors qu’on raconte que les gens s’arrachaient les fruits lors de son époque glorieuse. Mais je peux vous garantir, expérience à l’appui, que quand on produit un bon melon, c’est un excellent melon!
Au moment d’écrire ces lignes, certains semenciers du Québec travaillent à sélectionner le melon de Montréal, en conservant seulement les meilleurs fruits, pour lui rendre les caractéristiques qui l’ont rendu si populaire. Je pense qu’on a besoin de plus de gens qui mettent les mains à la terre pour nous aider avec cette tâche monumentale. L’histoire du melon de Montréal n’est pas terminée. C’est un nouveau chapitre qui s’ouvre pour cette variété ancestrale.
Pour en savoir plus sur le melon de Montréal
Pour les personnes qui auraient envie d'en apprendre davantage sur le melon de Montréal et sur sa culture, j’ai créé un ensemble de culture. Celui-ci comprend un livre sur l'histoire du melon de Montréal, toutes les informations nécessaires pour le cultiver, ainsi que des semences! Mon but est que tous puissent, un jour, goûter à une tranche de notre patrimoine alimentaire. Pour découvrir mon ensemble de culture du melon de Montréal, cliquez ici!
Références
Lavallée, B. (2024) Le petit guide illustré du melon de Montréal : son histoire et sa culture. Le nutritionniste urbain