A-t-on vraiment retrouvé le melon de Montréal? - Le nutritionniste urbain

A-t-on vraiment retrouvé le melon de Montréal?

En 1996, on a retrouvé des semences du melon de Montréal, un fruit qui a été très populaire au tournant du 20e siècle, mais qu’on croyait disparu. Du moins, c’est ce que l’histoire raconte… De façon ponctuelle, des gens émettent des doutes quant à l’identité réelle de ces semences. Est-ce qu’on aurait plutôt cultivé un gros mythe?

Si vous n’êtes pas déjà familier avec son histoire, je vous invite d’abord à lire mon article « L’histoire complète et véridique du melon de Montréal » pour mieux comprendre le contexte.

Melons de Montréal cultivés sur le balcon de Bernard Lavallée à l'été 2024.

Quand les doutes surgissent

Depuis les années 2000, plusieurs personnes ont semé des doutes quant à l’identité du melon de Montréal cultivé aujourd’hui. Et croyez-moi, j’adore les sceptiques! J’en suis un aussi.

J’ai donc décidé de creuser les quatre principales critiques pour voir si elles étaient légitimes. Pour connaître les sources consultées et pour avoir plus de détails à ce sujet, je vous invite à vous procurer mon livre « Le melon de Montréal : son histoire et sa culture ».

« Le melon de Montréal d’aujourd’hui ne goûte pas la muscade »

Plusieurs personnes affirment que le melon de Montréal de l’époque possédait une saveur de muscade. Or, celui qu’on cultive aujourd’hui n’a aucun arôme de cette épice. Pour certaines personnes, ce serait un signe qu’on s’est trompé sur son identité.

À l’époque, le melon de Montréal était connu sous une panoplie de noms, en français et en anglais. Parmi ceux-ci, on trouve fréquemment le qualificatif « nutmeg » en anglais, ou la traduction « muscade/muscat » en français.

Dans le cadre de mes recherches, je n’ai trouvé aucune mention d’un goût de muscade dans les textes datant du 19e ni du début du 20e siècle. Le premier texte qui avance ce « fait » a été publié en 2000. Et l’autrice disait que le melon avait un goût de muscade, d’où son nom « nutmeg ».

Or, le nom « nutmeg » est attribué à un groupe de melons brodés dont la naissance remonte à bien avant celle du melon de Montréal. On les appelle ainsi parce qu’ils ressemblent à la noix de muscade, pas parce qu’ils goûtent la muscade.

Bref, jusqu’à preuve du contraire, je crois que le melon de Montréal n’a jamais goûté la muscade. Il s’agirait d’un mythe né au 21e siècle. Le fait que les melons d’aujourd’hui ne goûtent pas la muscade ne représente donc pas du tout un signe, à mon avis, qu’on se trompe sur son identité.

Photo de W.H. Perron avec un melon de Montréal indiquant 24 livres, 1922.

« Le melon de Montréal d’aujourd’hui est trop petit »

Plusieurs photos d’antan présentent des melons de Montréal qui semblent avoir des proportions gigantesques. La plupart des catalogues de semences de l’époque le décrivent aussi comme un des plus gros melons sur le marché. La compagnie Burpee affirmait même qu’il pouvait peser jusqu’à 40 livres.

Les melons d’aujourd’hui sont loin de faire le poids. On atteint en moyenne environ 4 livres, mais certains se rendent jusqu’à environ 6 livres. Donc, faisons-nous fausse route?

D’abord, le poids réel du melon a été exagéré. Par exemple, lorsque Burpee affirmait qu’il pouvait peser 40 livres, il s’agissait du plus gros melon jamais cultivé, qui avait gagné un concours. Ce n’était donc pas du tout normal.

Catalogue de Burpee qui indique que le melon de Montréal peut peser jusqu'à 22 livres, 1882.

Dans mes recherches, j’ai également trouvé des publicités qui vendaient des « petits, moyens et gros melons de Montréal », ce qui indique qu’il y avait une variabilité dans la taille.

Au début du 20e siècle, un chercheur est venu étudier les secrets des cultivateurs montréalais et a publié un rapport à ce sujet. Il a écrit que les melons pesaient de 8 à 15 livres, avec une moyenne de 10 livres. Et ça, c’était pour ceux qui avaient fait de leur métier la culture du melon de Montréal.

À la même époque, des expériences menées à l’Université McGill, avec les mêmes semences que les cultivateurs, mais sans leur savoir-faire, avaient menées à des melons de 4 à 6 livres, soit exactement le poids atteint présentement.

Melon de Montréal sur une balance indiquant 5 livres

Melon de Montréal de 5 livres cultivé par Bernard Lavallée, sur son balcon, à l'été 2024.

Est-ce que les melons d’aujourd’hui sont plus petits qu’à l’époque? Oui, surtout comparativement à ceux cultivés par les professionnels qui ont raffiné leurs techniques pendant des décennies. Cependant, la différence est quand même moins extrême que ce que certains affirment. De plus, à mon avis, ce n’est pas nécessairement une question d’erreur sur l’identité de la variété, mais possiblement une question des méthodes employées pour les cultiver.

« Le melon de Montréal d’aujourd’hui ne goûte pas comme celui d’antan »

« Sucré », « succulent », « délicieux » et « parfumé ». Ce sont les termes qu’on trouve le plus couramment dans les descriptions de sa saveur à l’époque. Or, aujourd’hui, ce ne sont pas tous les melons qui ont un goût particulièrement intéressant.

Au Québec, j’estime que le semencier Louis-Philippe Mailloux est probablement celui qui connaît le mieux la culture de cette variété (même s’il n’oserait jamais le dire lui-même!) Cela fait maintenant plusieurs années qu’il cultive des champs de centaines de plants, afin de récolter uniquement les semences des meilleurs melons.

Malgré tout, il estime qu’à ce stade-ci, environ 15% des melons possèdent un goût exceptionnel, environ 40% de plus sont bons, mais le reste est assez fade. C’est aussi l’expérience de plusieurs personnes qui tentent la culture de cette variété avec les semences d’aujourd’hui.

Melon de Montréal mûr à point, coupé en deux pour montrer la chair verte, 2024.

Certains affirment que c’est la preuve qu’on s’est trompé sur la variété. C’est possible. Mais il s’agit d’une hypothèse parmi plusieurs autres.

D’abord, des semences de mauvaise qualité circulent sur le marché actuellement. Dans les dernières années, nous avons malheureusement observé des semences et des melons vendus sous le nom de « melons de Montréal », mais qui n’avaient aucune des caractéristiques de la variété, ainsi qu’un goût fade. Ainsi, ces mauvaises souches nuisent possiblement à la réputation du melon.

Ensuite, il s’agit d’une variété assez exigeante du côté de la culture. Pour développer son plein potentiel, ça lui prend beaucoup de soleil et un sol très riche. À l’époque, on le cultivait littéralement dans le fumier de cheval! Les producteurs détenaient possiblement certaines techniques essentielles pour arriver à produire des melons exceptionnels. D’ailleurs, j’ai trouvé plusieurs textes de l’époque qui racontent que même en utilisant les semences identiques aux producteurs, tous n’arrivaient pas à produire des melons aussi intéressants d’un point de vue gustatif.

Melon de Montréal cultivé sur l'ancien site de l'hippodrome Blue Bonnets, 2024.

De plus, le melon a besoin d’un long été chaud pour que le fruit mûrisse correctement. Et il doit être mûr à 100% pour développer son sucre et son parfum. On doit presque attendre qu’il se détache seul de son pédoncule. Et si on le récolte à peine quelques jours avant qu’il soit complètement mûr, on risque de se retrouver avec un fruit fade, plus près du concombre que du melon.

Une autre hypothèse serait que nos goûts ont changé. Peut-être que le melon de Montréal était le meilleur à son époque, mais que comparativement aux nouvelles variétés auxquelles nous avons accès aujourd’hui, il est plutôt fade.

Mais malgré toutes ces hypothèses, je tiens à rappeler qu’on arrive quand même à cultiver des melons exceptionnels parmi le lot, avec les semences d’aujourd’hui! J’en ai d’ailleurs fait l’expérience et je peux vous garantir que ce melon était meilleur que n’importe quel melon d’épicerie.

« On ne connaît pas la source originale des semences vendues aujourd’hui »

Les semences vendues aujourd’hui proviennent d’une lignée découverte en 1996 dans une banque de semences en Iowa. (Ça, c’est lorsque les vendeurs sont consciencieux et ne vendent pas n’importe quoi! Mais ça, c’est une autre histoire…)

À l’époque où elles ont été reçues par la banque de semences, le melon de Montréal avait déjà disparu depuis des décennies, du moins selon les histoires qui circulent. Alors comment aurait-on pu envoyer les bonnes semences?

Dans le cadre de ma recherche, je me suis intéressé à retracer la source des semences. D’après ce que j’ai découvert, celles-ci ont été envoyées en 1961 par la compagnie lavalloise W. H. Perron à une banque de semences de l’état de New York. Elles ont ensuite été envoyées à la banque de semences en Iowa où on les a retrouvées.

En consultant des archives de catalogues de W. H. Perron, j’ai réussi à prouver que la compagnie a bel et bien vendu le melon de Montréal jusqu’en 1961, année où elle a fait parvenir des semences à la banque de semences.

Catalogue de la compagnie de semences W. H. Perron de 1961 qui vend le melon de Montréal. 

Ainsi, cela me laisse supposer qu’à moins d’un problème, les semences originales d’où provient la lignée actuelle étaient bel et bien le melon de Montréal.

Pourra-t-on prouver hors de tout doute l’identité des semences de melon de Montréal d’aujourd’hui?

Je pense que c’est important d’approcher n’importe quel sujet de façon critique. C’est pour cette raison que j’ai autant voulu faire de recherches sur le melon de Montréal, afin d’essayer le plus possible de me rapprocher de la vérité.

Est-ce qu’on sera un jour capable de prouver hors de tout doute que le melon qu’on cultive sous le nom de « melon de Montréal » est exactement le même qu’à l’époque? Je ne pense pas... Prouver hors de doute, ce n’est pas une mince affaire. Mais j’aurais le même constat avec n’importe quelle autre ancienne variété cultivée aujourd’hui! Comment peut-on prouver hors de tout doute que le melon d’Oka, la tomate mémé de Beauce ou le haricot Thibodeau sont exactement les mêmes que ceux d’autrefois?

Malheureusement, le fait d’avoir perdu sa trace pendant quelques décennies a créé une rupture dans l’histoire du melon de Montréal. Malgré tout, la balance des preuves me laisse croire qu’on à affaire au bon melon, même si on doit encore peaufiner nos techniques de cultures et possiblement la sélection de la variété.

Cette histoire montre à quel point il est facile de perdre la trace d’une variété ancestrale lorsque les gens s’en désintéressent. Et le melon de Montréal n’est qu’une variété parmi des milliers d’autres que nos ancêtres ont cultivées à une époque, mais qui ont disparu aujourd’hui.

Pour cette raison, je pense que c’est important qu’on continue à raconter son histoire et à le cultiver, au moins pour semer des réflexions plus larges sur l’importance de préserver ce patrimoine du passé.

 

Références

Lavallée, B. (2024) Le melon de Montréal : son histoire et sa culture. Le nutritionniste urbain